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philip k. dick / psychiatrie

" Vers la fin des années trente, le développement de ces tests [de personnalité] avait considérablement modifié les idées de l'Américain moyen sur ce qui se passait dans sa tête et celle de son voisin. Au moment de la déclaration de guerre, ils avaient révélé que plus de deux millions d'appelés sur quatorze présentaient des troubles neuropsychiatriques invalidants. Devant ce chiffre que personne n'aurait soupçonné avant que ne l'établissent des paramètres réputés scientifiques, on avait paniqué, engagé d'énormes dépenses dans le secteur de la santé mentale et favorisé l'essor de la psychanalyse, comptant sur elle pour faire de ces demi-tarés des citoyens responsables et équilibrés.

Cette confiance peut sembler naïve, elle faisait sourire le vieux Freud qui se flattait, débarquant à New York, d'apporter la peste au Nouveau Monde. Mais psychiatres et psychanalystes américains, moins à cheval qu'en Europe sur la différence entre leurs disciplines, avaient ajusté le freudisme à leurs vues pragmatiques et visaient moins la connaissance et l'acceptation de soi, singularités comprises, que l'adaptation aux normes sociales. Les tests qu'ils faisaient passer à tour de bras évaluaient les progrès des patients vers le but: fonctionner normalement. Ou du moins: avoir l'air de fonctionner normalement. (pp.18-19)

-- Emmanuel Carrère: Je suis vivant et vous êtes morts, Paris, 1993.