PHILIP K. DICK: UBIK - commentaire // résumé

" Entre l’univers où le temps se dégrade et le monde instable des morts, Ubik est le piège final des réalités, qui marque une étape définitive dans l’œuvre de Dick. C’est sans doute une de ses productions les plus achevées (...). "
(Stan Barrets, Catalogue des âmes et cycles de la SF)

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Ecrit en 1966, publié en 1969.

Choses frappantes:
Les personnages: hormis Joe Chip, et dans une certaine mesure Glen Runciter, les personnages (surtout les 11 "neutraliseurs") semblent totalement dépourvus de substance -- réduits à un descriptif hétéroclite de leur physique, souvent incohérent, ex:

Près de la fenêtre G. G. Ashwood, portant comme d’habitude un élégant pantalon écorce-de-bouleau, une ceinture de chanvre, une chemise ajourée et une casquette d’élève ingénieur, haussa les épaules avec indifférence. (p.74)

Une femme plus âgée, brune, l’air avenant, avec des yeux perçants et un peu détraqués, en sari de soie, obi de nylon et socquettes: Francy quelque chose, une schizophrène cyclique (...)
(p.71)

Quant à Joe Chip et Glen Runciter, les personnages "principaux", ils reposent en fait sur le même stéréotype de personnage, le loser-célibataire flegmatique, "maussade et morne" (p.100), typiquement dickien. Curieusement les deux personnages semblent se vouer l’un à l’autre une admiration cachée, inspirée par le "dynamisme" qu’ils attribuent à leur alter-ego...

Glen Runciter, songea-t-il [Joe] ; debout et congelé dans un cercueil de plastique transparent. (...) Se déteriorant, s’affaiblissant, s’effaçant peu à peu... (...) De tous les hommes au monde. Un homme pareil. Avec une telle vitalité. (p.108)

– Runciter n’aurait jamais absorbé un tranquillisant dans des circonstances pareilles, dit Joe. Glen Runciter n’a jamais pris un tranquilisant de sa vie. Vous savez ce que je réalise maintenant, Al? C’est qu’il a donné sa vie pour sauver la nôtre. D’une façon indirecte. (p.115)

"(...) un homme plus grand que nous tous réunis. (Il [Joe] avait envie de pleurer. De sangloter.) (p.116)
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Runciter se rendit au distributeur d’amphétamines : il inséra une pièce, appuya sur la touche de son choix, et un petit objet familier tomba en tintant dans le plateau. - La pilule le réconforta. (p.251)

Cette perte de tous mes meilleurs collaborateurs, se dit-il [Runciter]. Surtout Joe Chip. (...) Je ne pourrai pas retrouver un autre testeur comme Joe, se dit-il. La vérité, c’est que Runciter Associates est à l’eau. (pp.252-3)
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Idem pour les lieux, qui sont réduits à leur fonctionalité pure et auxquels Dick n’accorde pas le moindre effort descriptif: Bureaux de Runciter Associates à New York, base lunaire, cafétéria de l’astroport de Zurich, supermarché à Baltimore, rues de Des Moines...

Impossible de ne pas faire le lien avec le "pseudo-univers" produit par l’imaginaire de Jory, l’adolescent maléfique:


– "Il n’est pas si grand. Un hôtel à Des Moines, dit Jory. Une rue de l’autre côté de la fenêtre avec des passants et des voitures. Et quelques maisons, des magasins en face au cas où vous regarderiez dans la rue."
– Alors vous ne gardez ni New York ni Zurich ni...
– Pourquoi ça? Il n’y a personne là-bas. Partout où allaient les autres membres du groupe et vous, je construisais une réalité tangible correspondant à ce que vous attendiez. (p.261)

"Observant les immeubles, les piétons et les automobiles qui défilaient sous ses yeux, Joe se demanda une fois de plus comment Jory pouvait maintenir en place un pareil ensemble de choses. Il y tant de détails, s’étonna-t-il." (pp.267-8)


Dick quant à lui ne se donne même pas cette peine. Lisant Ubik, on a un peu l’impression de jouer, ou plutôt de guigner par dessus l’épaule d’un ado s’adonnant à un jeu d’aventure sur sa Nintendo - cette topographie ultra-stérile, cette monotonie obsessionelle propre aux jeux vidéos des années 80... Les propos de Jory pourraient être ceux d’un programmeur, à l’esprit d’adolescent attardé et frustré: "Partout où [vont les joueurs], je construis une réalité tangible correspondant à ce qu’ils attendent."

Dans le même ordre d’idées, les personnages semblent avoir été conçus par un générateur de caractères aléatoire.