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griffith.1917

¬ A la fin du premier conflit mondial, lorsque Griffith arrive sur le front français pour réaliser son film de propagande, la partie archaïque de la guerre est terminée depuis longtemps, en 1914 avec la Marne, dernière bataille romantique, et le metteur en scène se trouve devant un conflit devenu statique où l'action principale consiste pour des millions d'hommes à se cramponner au terrain en s'y camouflant durant des mois, des années parfois comme à Verdun, au milieu de la prolifération effroyable des cimetières, des charniers. (...)

Griffith devait se délarer « très déçu par la réalité du camp de bataille », de toute évidence la facticité de la guerre moderne est devenue incompatible avec la facticité cinématographique telle qu'il la conçoit encore, telle que son public la réclame. Il réalise cependant quelques tournages intéressants sur le front, se concentrant sur l'activité logistique, avec comme opérateur le capitaine Kleinschmidt. On peut les voir notamment à l'Imperial War Museum de Londres.

D.W. Griffith en visite dans les tranchées de la Somme, début 1917. Il fut le seul cinéaste civil autorisé à se rendre sur le front pour y tourner un film de propagande, Hearts of the World. Mais dans les combats qu'il souhaitait filmer, les soldats voyaient rarement leurs adversaires et Griffith en fut décontenancé.

Il quitte ensuite le continent pour recréer en Angleterre des combats qui pourtant se déroulent effectivement à quelques kilomètres de là. Il tourne Hearts of the World (1918), dans la plaine de Salisbury qui allait peu après servir de « cimetière spécial » pour les victimes de l'épidémie de grippe virale qui, en s'abattant sur le monde, devait en un an faire 27 millions de morts supplémentaires.

De retour à Hollywood, il achève le film au ranch Lasky avec des moyens réduits et Stroheim comme conseiller militaire. Malgré son scénario banal, le film remporta un grand succès aux Etats-Unis et pesa beaucoup sur l'opinion.

Sans doute Griffith avait-il éprouvé devant la guerre moderne une amertume comparable à celle qu'il avait déjà ressentie en découvrant le Cabiria de Pastrone. Ce film italien commencé en 1912, arriva en Amérique en 1914. Selon Karl Brown:

« Les critiques de Cabiria produisirent un tel effet sur Griffith que lui-mêmeet les membres principaux de son état-major prirent le premier train pour aller le voir à San Francisco... » Et Kevin Brownlow ajoute: « Il devait être exaltant d'avoir fait le film Naissance d'une Nation, salué alors comme le plus grand chef-d'œuvre du monde, mais immensément déprimant de voir ensuite un film comme Cabiria... Du point de vue des moyens matériels et de l'habileté technique, le film de Griffith semblait préhistorique en comparaison. »

-- Paul Virilio: GUERRE ET CINÉMA, 1984.

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