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Robert McNamara

secrétaire à la Défense de John F. Kennedy et de Lyndon B. Johnson de janvier 1961 à février 1968.

BIO: né en 1916, étudie l'économie à Berkeley (Université de Californie), "sans aucun projet de carrière particulier à l'esprit", puis à Harvard (Graduate School of Business Administration), où il obtient son diplôme en 1939. Travaille pour le «contrôle statistique» de l'Air Corps de 1942 à 1946. En janvier 1946, avec ses co-équipiers, il est engagé par la Ford Motor Company, et travaille pendant quinze années pour cette entreprise. En octobre 1960, il est nommé président de la compagnie. Deux mois plus tard, Kennedy lui propose le poste de secrétaire à la Défense.

CITATIONS:

¬ Nous devons apprendre du Vietnam comment gérer des guerres «limitées» avec efficacité. (p.318)

¬ Les Etats-Unis d'Amérique se sont battus au Vietnam pendant huit ans pour des raisons qu'ils croyaient bonnes et honorables. (...) Mais, à mon sens, le recul prouve que nous avions tort. (p.319-320)

¬ Nous avons mal jugé alors – et depuis – les intentions géopolitiques de nos adversaires (...) et nous nous sommes exagéré les dangers que pouvaient représenter leurs actes pour les Etats-Unis. (p.308)

¬ Nous n'avons pas su alors – ni depuis – reconnaître les limites de l'équipement de haute technologie, des forces et des doctrines militaires modernes, quand il s'agit d'affronter des mouvements populaires non conventionnels et extrêmement motivés. (p.310)

¬ Notre échec a été partiellement dû au fait que nous avions beaucoup d'autres engagements que le seul Vietnam. L'instabilité en Amérique latine, en Afrique et au Proche-Orient et le maintien de la menace soviétique en Europe nous demandaient beaucoup de temps et d'attention. (p.114)

¬ Si nous avions eu plus d'experts de l'Asie autour de nous, peut-être n'aurions-nous pas conçu des idées aussi simplistes sur la Chine et le Vietnam. Des avis compétents d'experts, nous en avions disposé pendant la crise des missiles de Cuba; (...) mais pour l'Asie du Sud-Est, nous n'en avions pas (p.122)

(cf. préface de Jean Lacouture: «Nul ne pouvait ignorer à Washington qu'un certain Paul Mus, par deux fois interlocuteur de Ho Chi Minh en 1945 et en 1947, enseignait à Yale, et, moins prestigieux mais superbement informé, Bernard Fall à Johns Hopkins. Et l'on connaissait bien Pierre Mendès France, le négociateur de Genève. Alors?»)

VISION POLITIQUE:

¬ Il n'y a pas de tâche plus importante dans une démocratie que de résoudre les divergences entre les gens et de déterminer une orientation qui sera soutenue par un nombre suffisant de citoyens pour permettre au pays d'améliorer l'existence de tous. (p.128)

CONCLUSIONS:

Déclaration de G.F. Kennan (1994): "pour la première fois depuis des siècles, aucun conflit en perspective entre grandes puissances ne menace la paix du monde".

¬ Le maintien de [notre] capacité [à nous protéger] ne signifie pas que les dépenses militaires doivent rester au niveau exorbitant qui est aujourd'hui le leur. (...) Le budget militaire de 1999 sera, en dollars constants, inférieur de 3% seulement à celui du président Nixon au plus fort de la guerre froide. Les Etats-Unis dépensent presque autant pour la sécurité nationale que tous les autres pays du monde réunis. [
src: Budget of the United States: Historical Tables FY 1995, p.86] (p.314)

APPENDICE: risques nucléaires

¬ Je doute qu'un survivant – s'il y en a un – puisse percevoir une bien grande différence entre un monde dans lequel 12'000 ogives nucléaires auraient explosé et un autre qui aurait subi l'assaut de 40'000 ogives. (p.323)

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CHRONOLOGIE:

Décembre 1960: J.F. Kennedy, qui vient de remporter les élections présidentielles, demande à McNamara d'être son secrétaire à la Défense.
McNamara: – Je ne suis pas qualifié.
JFK: – Mais qui l'est ?

Réunion du 19 janvier 1961: dernier jour d'Eisenhower à la présidence des États-Unis. Durant une réunion "relativement brève", Eisenhower et ses collaborateurs exposent à JFK et à son équipe "les problèmes nationaux urgents" qu'ils auront à affronter. Sujet-clé: l'Indochine. – Eisenhower déclare que "le Laos est actuellement la clé de toute l'Asie du Sud-Est".

En avril 1954, le président Eisenhower avait émis sa célèbre prédiction: si l'Indochine basculait, le reste de l'Asie du Sud-Est «tomberait très vite», comme une «rangée de dominos». «Les conséquences possibles de cette perte sont tout simplement impensables pour le monde libre», avait-il-ajouté. (MN 49)

17 avril 1961: invasion de la baie des Cochons (Cuba) – débâcle pour Kennedy.

Fin 1961: envoi de 16'000 "conseillers militaires" au Sud-Vietnam.

« Il est très difficile aujourd'hui de nous remémorer la naïveté confiante avec laquelle nous abordions le Vietnam aux premiers jours de l'administration Kennedy. Nous savions très peu de chose sur la région. Nous n'avions aucune expérience de gestion des crises. » (MN 52)

Courant 1962: optimisme excessif des chefs militaires américains qui croient en une victoire proche de leurs alliés (McNamara met cette erreur de jugement sur le compte de la "désinformation grossière" pratiquée par les chefs de province sud-vietnamiennes à l'encontre des officiers américains - MN 60).

Mai 1963: Une crise politique et religieuse éclate dans l'ensemble du Sud-Vietnam. «Les bouddhistes, furieux des atteintes à la liberté religieuse dont se rendait coupable le régime de Diem, lancèrent des mouvements de protestation qui se heurtèrent à de violentes représailles des forces de sécurité. La brutalité de la répression provoqua de nouvelles protestations, dont d'horribles auto-immolations de bonzes.» (MN 61)

21 août: le gouvernement sud-vietnamien "déchaîne la répression": «Nhu ordonna à une unité militaire d'élite d'attaquer les pagodes bouddhistes à l'aube. Les soldats enfoncèrent les portes barricadées et rossèrent les bronzes qui résistaient. (...) Quand les rapports sur les violences affluèrent à Washington, le 24 août [1963], plusieurs des responsables que nous avions laissés aux commandes y virent une occasion d'agir contre le régime de Diem. Avant la fin de la journée, les États-Unis avaient donné le coup d'envoi à un putsch militaire, ce que je crois être l'une des décisions vraiment cruciales sur le Vietnam prises sous les administrations Kennedy et Johnson.» (MN 64)

KISSINGER: «Le coup d'État détruisit la structure qui s'était édifiée pendant dix ans, tout en portant au pouvoir un groupe de généraux rivaux, sans expérience politique, sans partisans civils. Pendant la seule année 1964, on assista à sept changements de gouvernement, dont aucun n'apporta un semblant de démocratie et qui survinrent tous à la suite d'un coup d'État. Manquant tous de prestige et de légitimité (Diem au moins incarnait la figure mandarinale classique), ils n'avaient guère d'autre choix que de confier la guerre aux Américains.» (HK 592)

22 novembre 1963: assassinat de J.F. Kennedy.

McNAMARA: «Après avoir examiné les archives en détail, et avec l'avantage d'une connaissance "de l'intérieur", je pense qu'il est extrêmement probable que, si le président Kennedy n'était pas mort, il nous aurait désengagés du Vietnam.» (MN 103)

KISSINGER: «Si l'administration Kennedy avait craint d'entrer dans la guerre aux côtés d'un allié non démocratique, l'administration Johnson
redoutait plus d'abandonner le nouveau gouvernement non démocratique de Saigon que de participer à la guerre.» (HK 593)

ELLSBERG: «I believe that Lyndon Johnson did not want to be accused of losing Vietnam, of being weak, of being weak on Communism, being weak on militarism, not being sufficiently militaristic. And as he put it to Doris Kearns, being accused of being unmanly – an unmanly man. I think he was prepared to take the chance, which was a very high chance which took place, of getting into a way which would destroy his presidency and make it impossible for him to run again, as Korea made it impossible for Truman to run again, even if he’d wanted to.» (panel discussion, 2002)


AUTOMNE 1965

«Ailleurs en Asie, l'automne 1965 fut marqué par des événements qui, avec le recul, modifièrent considérablement l'équilibre des forces dans la région et réduisirent sensiblement l'importance réelle de ce qui était en jeu pour les États-Unis au Vietnam.» (MN 211)

Indonésie: «En octobre 1965, un réalignement majeur (...) secoua le pays. (...) Le Parti communiste indonésien (PKI), soutenu par la Chine, lança un coup d'État qui devait, en définitive, échouer lamentablement. Les sentiments anticommunistes en xénophobes les plus primitifs balayèrent alors le pays. Dans les violences qu'ils inspirèrent, Soekarno fut chassé du pouvoir et 300'000 membres du PKI ou davantage furent tués. Le plus grand et le plus peuplé des pays de l'Asie du Sud-Est avait viré de bord: il se trouvait désormais aux mains des nationalistes indépendants dirigés par Suharto (qui est toujours au pouvoir aujourd'hui [1995]).» (MN 211-212)

«Tandis que la Chine se repliait sur elle-même, les États-Unis allourdissaient leur présence au Vietnam. La guerre prenait de plus en plus l'allure et le style d'une entreprise américaine.» (MN 213)

«La protestation contre la guerre avait été jusqu'à cette date sopradique et limitée (...). Puis vint l'après-midi du 2 novembre 1965. Ce jour-là, au crépuscule, un jeune quaker nommé Norman R. Morrison, père de trois enfants (...), s'immola par le feu à une douzaine de mètres de ma fenêtre du Pentagone. Il s'arrosa du contenu d'un bidon d'essence. Quand il mit lui-même le feu, il tenait sa fille d'un an dans ses bras. Des passants hurlèrent: «Sauvez l'enfant!» et il la jeta loin de lui. Elle survécut sans dommage. (...) J'ai réagi à l'horreur de son acte en ne laissant rien paraître de mes émotions (...).» (MN 213)

7 novembre: McNamara adresse au président un memorandum. (politique à long terme: contenir la Chine communiste sur les fronts Japon-Corée et Inde-Pakistan).

14-19 novembre 1965: première grande bataille entre forces américaines et nord-vietnamiennes (Vallée de Ia Drang, près de la frontière Cambodgienne - map) - 23 novembre: Westy [le général Westmoreland] réclame à Washinton 200'000 soldats de plus en 1966, avec la possibilité d'en obtenir au moins 200'000 de plus en 1967 – "ce qui porterait l'effectif total des forces américaines au Vietnam fin 1966 à 410'000 hommes" [note: ils seront 536'000 en 1968]. (MN 217-218)

Après une entrevue à Saigon avec les hommes du terrain (Cabot Lodge, Westy, Bus et Oley Sahrp), McNamara soumet au président deux options:
– chercher un compromis
– intensifier les bombardements ("répondre positivement aux demandes de Westy")

PEOPLE:
US Grant Sharp Jr: commandant en chef des forces du Pacifique (1964-1968).

-- [MN] Robert McNamara: In Retrospect. The Tragedy and Lessons of Vietnam, 1995. (trad. fr. de Paul Chemla, Avec le recul. La tragédie du Vietnam et ses leçons, Paris, Seuil, 1996)

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