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cabiria.1912-1914

¬ Sans doute Griffith avait-il éprouvé devant la guerre moderne une amertume comparable à celle qu'il avait déjà ressentie en découvrant le Cabiria de Pastrone. Ce film italien commencé en 1912, arriva en Amérique en 1914. Selon Karl Brown:

« Les critiques de Cabiria produisirent un tel effet sur Griffith que lui-mêmeet les membres principaux de son état-major prirent le premier train pour aller le voir à San Francisco... » Et Kevin Brownlow ajoute: « Il devait être exaltant d'avoir fait le film Naissance d'une Nation, salué alors comme le plus grand chef-d'œuvre du monde, mais immensément déprimant de voir ensuite un film comme Cabiria... Du point de vue des moyens matériels et de l'habileté technique, le film de Griffith semblait préhistorique en comparaison. »

Cabiria venait de la patrie des Futuristes et leur manifeste précède de trois ans le début du tournage de l'œuvre de Pastrone. Chez Pastrone comme chez les Futuristes, c'est la fin de l'organisation de la pensée par la linéarité euclidienne et la mise en équivalence de la vision humaine et de la propulsion énergétique. Le metteur en scène néglige volontairement le caractère narratif du scénario au profit de l'effet technique, du perfectionnement dynamique de la prise de vues: « Obsédé par la troisième dimension, il réussissait à créer l'illusion de la profondeur, séparant les plans visuels par de constants mouvements de caméra... »

En usant et abusant systématiquement du «carello» (travelling) qu'il avait mis au point, Pastrone avait montré que la caméra sert moins à produire des images (cela, les peintres et les photographes le faisaient depuis longtemps) qu'à manipuler et à falsifier des dimensions.

Le film de Pastrone est contemporain de la guerre coloniale en Libye, cette expédition qui était une des conséquences du délire patriotique qui avait saisi les Italiens depuis la célébration du cinquantenaire de leur unité nationale. Le pays est dès lors plongé dans l'effort militaro-industriel et Gabriele d'Annunzio, qui collabore au scénario de Cabiria, est lui-même un dandy guerrier proche de l'action futuriste, il est aussi pilote de guerre et jouera un rôle crucial, peu après, dans la prise de Fiume.

Gabriele d'Annunzio, le co-scénariste avec Pastrone, du film Cabiria, au retour d'une mission aérienne pendant le premier conflit mondial.

CF. D.W. Griffith

-- Paul Virilio: GUERRE ET CINÉMA, 1984 (pp.20-22)

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